Interview easyBourse
Claude Mattern, Analyste technique, Marché des changes, BNP Paribas - Fixed Income.
« Le krach boursier de 1987 m’a conduit à m’intéresser à l’analyse technique »
Faut-il être passionné pour devenir un analyste technique performant ? C’est bien d’être passionné surtout dans la période d’apprentissage des méthodes mais pour être performant dans l’analyse, il faut d’autres qualités comme un certain pragmatisme qui fait qu’on va chercher à maîtriser les outils par rapport au marché et bien sûr de la rigueur dans la compréhension des approches si on veut se situer dans une pratique suivie et professionnelle de l’analyse technique.
Vous avez choisi d’en faire votre métier, pourquoi ? Je suis économiste de formation et j’ai commencé ma carrière comme analyste de marché. Je me suis rapidement aperçu que pour le très court terme (1 jour à une semaine), l’approche fondamentale ne suffisait pas. Le krach boursier de 1987 m’a conduit à m’intéresser à l’analyse technique qui m’est apparue comme une bonne méthode pour suivre l’évolution du marché, une aide utile à la décision et un excellent outil de formation.
Vous êtes membre de l’AFATE et de l’IFTA. Comment situez-vous la France par rapport aux pays anglo-saxons ? En France, l’analyse technique a droit de cité dans la plupart des salles de marché et ce depuis plusieurs années et les investisseurs institutionnels la prennent de plus en plus en compte dans leurs processus de décisions. La France a ainsi comblé en partie son retard sur les pays anglo-saxons. Malheureusement, la recherche universitaire française se montre toujours réticente, même si quelques universités intègrent à présent l’analyse technique dans leur programme. Cette ouverture reste modeste si on la compare à l’intérêt manifesté par les plus prestigieuses universités américaines.
Pensez-vous que l’on puisse utiliser simultanément plusieurs approches de l’analyse technique, Bollinger, Elliott, Candelstick, etc ? Il n’y a pas de règle : on peut par exemple partir d’une méthode (Dow ou Elliott) pour détecter les tendances, les corrections et les configurations graphiques et prendre en compte les indicateurs techniques pour mesurer les forces des mouvements. Ce qui est important à mon sens c’est de privilégier des approches complémentaires plutôt que d’empiler des méthodes substituables. Pour en revenir à notre exemple, le décompte des vagues d’Elliott pourra se coupler aux droites de tendance et aux figures graphiques en ajoutant un « momentum », notamment pour repérer les vagues C ou les vagues 5. Pour ma part, je préfère rester dans la simplicité, en ayant des indicateurs qui sont « clairs » dans leur information et « distincts » dans leur interprétation.
Quels indicateurs et échelles temporelles privilégiez-vous dans vos projections ? Je travaille sur des graphiques à barre, pour déterminer les phases de tendance (qui reflètent un changement de valorisation de l’actif financier) et les périodes de consolidation (où le marché s’équilibre autour d’une nouvelle valorisation). Pour comparer les différentes forces des mouvements, j’utilise essentiellement le « rate-of-change » qui s’interprète comme la rentabilité du titre sur une période fixe. Les échelles de temps sont liées aux comportements spécifiques des groupes d’intervenants sur les marchés (graphique 5 minutes pour les teneurs de marché, graphique hebdomadaire pour les investisseurs institutionnels). Pour mes analyses quotidiennes, je travaille sur des graphiques quotidiens pour le scénario et des graphiques horaires pour les niveaux techniques les plus importants.
L’analyse technique produit-elle de bons résultats sur le marché des changes? Les résultats sont satisfaisants mais il faut tenir compte de certaines spécificités par rapport au marché des actions. Il n’y a pas à proprement parler de cours de clôture, mais on observe des « comportements » de clôtures lorsque, vers 17h30, les teneurs de marché en Europe transfèrent leurs ordres à New York. Il n’y a pas non plus de volume de transactions, puisque c’est un marché de gré à gré. Enfin, le taux de change est un prix relatif et le marché des changes n’est rien d’autre que le plus grand marché de troc, puisqu’on y échange une monnaie contre une autre. Ce fonctionnement impose une forte contrainte de cohérence : impossible d’être haussier EURUSD et USDJPY tout en étant baissier EURJPY. Par ailleurs, chaque taux de change a sa spécificité, en fonction de la profondeur du marché, des intervenants et du degré de contrôle des autorités monétaires. Ainsi je n’aurai pas la même approche, ni la même confiance, entre l’EURUSD et l’EURPLN, tout en utilisant des méthodes techniques identiques.
Doit-elle être couplée à l’analyse fondamentale pour maximiser les rendements ? C’est pour moi l’aspect le plus important. En tant qu’analyste technique, je ne tiens pas compte des informations fondamentales. Il est d’ailleurs souhaitable de maintenir une indépendance entre les deux approches car chacune répond à une question différente. En revanche, lorsqu’il s’agit de prendre une position, il est indispensable de faire la synthèse des deux approches aussi bien pour déterminer le signal et l’orientation la plus probable du marché que pour fixer les objectifs et le seuil de coupure de la position. Les deux approches sont de fait complémentaires. Indépendantes dans l’analyse, elles se synthétisent dans la décision.
Quel rôle jouez-vous dans le processus de décision des cambistes ? Je suis en contact direct avec les teneurs de marché, pour un échange dynamique sur les seuils techniques. Je suis également proche des cambistes-clientèle auxquels je fournis des scénarios et je fais directement parvenir mes analyses à un large éventail de clients. Chaque cambiste a évidemment son opinion sur le marché mais il me revient de proposer le scénario technique le plus adapté.
Vous participez à de nombreuses conférences en France et à l’étranger sur l’analyse technique. Cette science est-elle accessible à tous ? Dans l’affirmative, quels sont les formations/livres incontournables à vos yeux? Ni un art, ni vraiment une science, l’analyse technique est une discipline assez facilement abordable par tout un chacun. Certains pensent même qu’il n’est plus possible d’intervenir sur un marché financier sans faire une analyse technique du cours. On peut d’ailleurs penser que certains font de l’analyse technique sans le savoir. L’ouvrage de John Murphy (traduit en français et édité chez Valor) permet de bien débuter («L’analyse technique des marchés financiers»). Si on souhaite se concentrer sur l’analyse graphique, il sera alors intéressant d’aborder le Edwards et Magee («l’analyse graphique des tendances boursières»). Ces ouvrages sont recommandés par l’IFTA pour préparer le CFTe («Certified Financial Technician»), examen qui est proposé par l’AFATE. Pour l’initiation, le «Béchu et Bertrand» reste une bonne base («L’analyse technique – Pratiques et méthodes»).
Quelle part représente l’expérience dans vos prévisions ? Intègre-t-elle la psychologie ? Les outils sont d’une approche facile et les principes peuvent être rapidement assimilés. En revanche, leur mise en application nécessite beaucoup de travail, puisqu’il faut adapter chaque outil au titre ou au taux de change. Enfin, comme dans beaucoup de domaines, on apprend de ses erreurs passées à condition de bien vouloir les analyser. En réalité, on s’aperçoit vite que ce n’est pas l’analyse technique qui présente des difficultés, mais bien le comportement des cours qui traduisent surtout l’opinion que se font les opérateurs sur la valeur future du titre. C’est dans ce sens que la « psychologie » de groupe intervient dans toute analyse technique, mais indirectement, par la dynamique des cours.
Que vous inspirent les oscillations de la parité Euro/Dollar ? Vos objectifs de cours ? L’EURUSD est un cas d’école qui illustre le lien entre l’analyse fondamentale et l’analyse technique :
L’EURUSD fluctue depuis plus de 30 ans autour d’une droite qui correspond à une moyenne mobile de 15 ans. Il se trouve que cette moyenne n’est pas très éloignée de la Parité de Pouvoir d’Achat chère aux économistes. Le taux de change n’a en revanche croisé que par 5 fois sa PPA, avec une amplitude qui se réduit à chaque oscillation (de 15 ans), le cours de marché convergeant progressivement vers sa valeur fondamentale. A partir de ce cycle de base (ajustement du marché), autour d’un trend séculaire (PPA), le taux de change se décline en sous-cycles, économiques puis purement de marché, qui reflètent les ajustements de positions en fonction des opinions majoritaires. L’EURUSD semble actuellement dans une phase haussière de plusieurs années, avec une période de démarrage lente, en 2000/2002, une accélération brutale en 2002/2003 et une phase plus discutée depuis 2004. Pour l’instant je conserve un biais haussier, mais dans un marché plus agité dans les prochains trimestres. L’objectif de la reprise des derniers mois est à 1,40, avant une nouvelle phase de correction.
|
Commentaires