Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles, chargé d'enseignement à l'Université Paris I (Sorbonne)
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L'Internet devient le lieu de toutes les expressions, qu'elles soient légitimes ou abusives. Tout un chacun peut s'exprimer sur tous les sujets, que
ce soit sur des sites personnels, des blogs ou des forums de discussion. Ces nouveaux supports décuplent les moyens d'expression, et donc aussi les " dérapages ". Les grandes
sociétés s'inquiètent aussi de plus en plus des imputations éventuellement diffamatoires commises contre elles par voie d'internet. Voici peu, ce qui inquiétait encore le chef
d'entreprise, c'était une " brève " peu favorable dans la presse nationale ou régionale. Aujourd'hui, en termes d'audience, il sait qu'il a autant, voir davantage, à craindre d'un
site ou d'un forum en ligne. Voici un panorama succinct des actions possibles contre des propos jugés diffamatoires ou dénigrants sur l'Internet.
Le droit de réponse
Lorsqu'une personne est mise en cause dans un article de presse, sa première réaction sera probablement de solliciter un droit de réponse. Afin de mettre fin aux errements de la
jurisprudence, la loi pour la confiance dans l'économie numérique a institué un droit de réponse en ligne (voir notre chronique du 29/09/04). Toutefois, pour l'heure, son applicabilité est sujette à caution car le décret
d'application n'est pas encore adopté. Dans l'intervalle, il sera prudent de privilégier une action en référé fondée sur la diffamation ou le dénigrement.
La diffamation en ligne Selon la loi du 29 juillet 1881, est
considérée comme diffamation "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé"
(article 29 de la loi).
Dans le cas de la diffamation, l'intention coupable est présumée et il appartient à l'auteur de la "diffamation" d'apporter la preuve de sa "bonne foi" ("l'exception veritatis").
Une démonstration toujours difficile puisqu'elle exige que soient réunies au moins quatre conditions : la sincérité (le diffamateur croyait vrai le fait diffamatoire), la
poursuite d'un but légitime (le souci d'informer et non de nuire), la proportionnalité du but poursuivi et du dommage causé et le souci d'une certaine prudence.
L'auteur de la diffamation qui veut invoquer "l'exception veritatis", dispose de dix jours pour le faire après la signification de la citation en faisant connaître au ministère
public ou au plaignant les faits qualifiés dans la citation et pour lesquels il entend prouver la vérité ainsi que les copies des pièces qu'il compte verser aux débats et les noms
des témoins par lesquels il compte apporter la preuve de ce qu'il avance.
Le plaignant dispose ensuite de 5 jours (et il doit le faire au moins 3 jours francs avant l'audience) pour fournir les copies des pièces et les noms des témoins par lesquels il
compte apporter la preuve du contraire.
Il est important de noter que ces règles procédurales (prescrites à peine de nullité), à l'origine prévues en cas de poursuites correctionnelles, sont également applicables aux
procédures civiles, et ce même s'il s'agit d'une action en référé.
Ainsi, si la personne se prétendant diffamée décide de solliciter le tribunal de grande instance - siégeant en référé - pour supprimer les propos diffamatoires publiés sur un site
Web, elle devra faire signifier l'assignation au ministère public et faire élection de domicile auprès d'un avocat du ressort du tribunal de grande instance saisi. Autre formalité
essentielle : la citation devra mentionner les articles de la loi qui édictent la peine encourue…
L'action en diffamation (civile ou pénale) se prescrit après 3 mois, à compter de la première mise en ligne de l'écrit jugé diffamatoire. Il est donc conseillé d'agir très
rapidement, en faisant immédiatement constater les propos par un huissier ou par l'Agence pour la Protection des programmes, qui est également habilitée à dresser des constats
reconnus valables en justice. L'action doit être dirigée contre le directeur ou le codirecteur de la publication, dont le nom et les coordonnées doivent obligatoirement être
mentionnées sur le site (sauf en cas de site "perso", qui peut rester anonyme mais dont l'identité doit être conservée par l'hébergeur).
Le dénigrement Si les conditions de la diffamation ne sont pas
réunies (par exemple parce qu'il n'y pas d'imputation d'un fait précis), ou que l'action est prescrite, il est aussi envisageable d'invoquer en justice le dénigrement.
Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne ou une entreprise. Il s'agit d'une une attitude fautive au sens de l'article 1382 du Code civil. En
effet, l'exercice de la liberté d'expression peut être fautif lorsque le titulaire de cette liberté en fait, à dessein de nuire, un usage préjudiciable à autrui.
Le dénigrement peut aussi être constitutif de concurrence déloyale, lorsqu'il consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, le travail l'entreprise ou la personne
d'un concurrent. Une action en référé est également possible sur ce fondement.
Les réparations En référé, l'action sera fondée sur l'article 809 du
Nouveau code de procédure civile, car il s'agira de faire cesser un "trouble manifestement illicite", même en l'absence d'urgence ou de contestation sérieuse. En général, les
plaignants sollicitent du tribunal qu'il mette un terme à la diffusion des messages diffamatoires ou dénigrants. Parfois, il est aussi demandé d'ordonner la cessation de tout
nouveau propos diffamatoire ou dénigrant à l'encontre du plaignant. Pareille demande est plus délicate, car il faudra démontrer le risque sérieux de récidive.
Dans presque tous les cas, le tribunal, s'il constate l'existence d'une diffamation ou d'un dénigrement, ordonnera la publication de la décision sur la page d'accueil du site de
la partie condamnée, selon une durée et des modalités qu'il détermine. Il ordonnera aussi dans certains cas, la publication de la décision dans un ou plusieurs quotidiens
nationaux. Enfin, il est possible de demande au juge des référés l'allocation d'une indemnité provisionnelle, qui sera laissée à son appréciation.
La compétence des tribunaux Le demandeur peut saisir, à son choix, la
juridiction du lieu où demeure le défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable, ou encore celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. En pratique, lorsque
les propos litigieux ont été diffusés sur l'internet, tous les tribunaux du pays seront compétents.
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