EDITORIAL : VALEUR, PRIX ET RATIONALITE
La chûte de la Bourse (-45% environ) amène à se poser la question de la valeur “ intrinsèque ” d’une entreprise. A priori, elle serait égale à la somme des actifs, y compris le capital immatériel (marques, propriété intellectuelle, brevets, etc.). Reste à s’interroger sur la valeur donnée à chaque actif : est-ce une “valeur de remplacement ”ou une “ valeur liquidative ”. On peut également invoquer comme valeur de l’entreprise « la somme actualisée des cashflows futurs” que dégageraient l’ensemble des actifs? On constate qu’il y a déjà là matière débats ! De toutes façons, cette valeur n’est estimable qu’au moment précis où l’on procède à l’évaluation ; si l’exercice est reproduit un mois plus tard, la valeur aura changé, ou les variables sur lesquelles elle s’appuie (taux d’intérêt, prévisions de chiffre d’affaires futur, prix des matières premières, etc.) auront certainement évolué, à la hausse ou la baisse. Pour résumer, l’identification de la valeur intrinsèque d’une entreprise est difficile, car susceptible de différentes interprétations et sujette à des fluctuations rapides.
Il ne faut pas confondre la valeur intrinsèque avec le cours boursier (pour les entreprises cotées). Celui-ci est, en effet, un prix, à un moment donné, résultant de la confrontation de l’offre et de la demande. Si les anticipations des opérations sont en majorité baissières, le cours va baisser, par autoréalisation des prévisions et idem pour la hausse. De ce fait, le cours (le prix) peut s’écarter violemment de la valeur intrinsèque, celle-ci agissant comme une force de rappel, mais sans pouvoir empêcher des périodes parfois longues de sur ou sous-évaluation des cours.
Dans la mesure où l’écart entre la valeur et le prix peut atteindre des proportions élevées, faut-il en conclure que les opérateurs sont irrationnels ? Certes non, car le concept de rationalité mérite d’être explicité. Il faut abandonner l’idée que la rationalité est avant tout un raisonnement purement économique. En fait les phénomènes psychologiques liés au comportement de groupe (en anglais “ herding ”) sont prépondérants dans les mouvements boursiers. Ils n’obéissent pas forcément à des notions objectives de perte ou de gain financier calculés mathématiquement, mais agglomèrent des “ tendances ”, telles que l’imitation du voisin (supposé mieux informer), l’aversion au risque et la peur de perdre, renforcées par l’imprécision des anticipations, en période de crise. Pour faire simple, on pourrait dire que l'apparente irrationalité économique masque une rationalité psychologique propre à chaque individu. D’où les nombreux travaux actuellement menés dans les cercles académiques, sur la “ finance comportementale ” ; celle-ci finalement s’avère aussi importante que la “ finance quantitative ”, qui a accompagné d’une façon envahissante l’univers des marchés, au fur et à mesure où les produits dérivés étaient conçus et ensuite commercialisés.
Il est clair que ces travaux en “ finance comportementale ” pourront certainement nous permettre de mieux comprendre certaines réactions des marchés financiers, tout au long de cette crise.
Bernard MAROIS
Président
Club Finance HEC
EDITORIAL : LE SPECTRE DE 1929
Comme suite à mon éditorial de la semaine dernière, il m’apparait utile de citer quelques chiffres, qui permettent de comparer la crise de 1929 et la situation actuelle.
En 3 ans (1929-1932), les cours de la bourse de New-York baissèrent de 90%, alors qu’aujourd’hui la baisse est pour l’instant inférieure à 45%. En janvier 1932, on constata que plus de 1800 banques américaines avaient été acculées à la faillite, tandis qu’actuellement seule une vingtaine de banques (dont Lehmann Brothers, bien sûr) ont été touchées. Enfin, la production globale des 7 économies les plus importantes de l’époque chûta de 20% entre 1929 et 1932 (dont l’Allemagne, qui connut une baisse de 35%). Dans le même temps le commerce international s’effondra (moins 60%).
En fait, il y a 3 différences, fondamentales, entre 1929 et 2008. La première, c’est l’inaction totale des Pouvoirs Publics, pour sauver le système bancaire américain, en 1929, face à une intervention rapide en 2008. A la suite de cette erreur, le crédit disparut complètement entre 1929 et 1933, favorisant l’écoulement de l’économie réelle.
Deuxième différence : le gouvernement américain réagit à la crise de 1929, en augmentant les impôts et en sabrant les
programmes d’aide sociale, accentuant encore les effets de la dépression. Aujourd’hui, les gouvernements et les banques centrales tentent de redonner de la liquidité au marché bancaire, en
baissant les taux d’intérêt et en mobilisant des sommes colossales (700 milliards de dollars aux Etats-Unis), pour servir de garantie de dernier
ressort aux banques fragilisées.
Enfin, le gouvernement Hoover décida en 1930 d’augmenter les droits de douane sur 20 000 produits importés, suivi par des mesures protectionnistes prises dans les autre pays développés, avec
comme résultat un effondrement des échanges internationaux.
Nous avons donc des raisons d’espérer échapper à la Dépression style 1929. Pour cela, la priorité est de stabiliser le système financier international, quitte à nationaliser provisoirement les banques en difficulté : la Suède le fit en son temps et les banques suédoises furent reprivatisées (quand la conjoncture se rétablit), à des prix intéressants, ce qui évita aux contribuables suédois d’être ruinés. Ensuite, la récession s’atténuera, grâce aux pays émergents et le cycle économique (qui existe toujours, malgré les affirmations de certains économistes, car il caractérise l’économie de marché) repartira à la hausse….au début de 2010.
Bernard MAROIS
Président du Club Finance HEC
LA CRISE FINANCIERE : QUI SONT LES COUPABLES ?
Les discours récents des leaders politiques mettent tous l’accent sur la recherche des « boucs émissaires », responsables de la crise financière ; ils accusent successivement les « hedge funds », les spéculateurs (terme d’ailleurs très vague !), les « magiciens » de la titrisation, les banques d’affaires américaines (qu’il faudrait punir, en les laissant faire faillite !).
En fait, premier point, la responsabilité est collective. Elle s’étend des ménages américains prêts à emprunter largement au-delà de leurs moyens, pour réaliser le rêve de leur vie (posséder une maison individuelle) aux banques commerciales qui leur ont prêté, sans réfléchir au risque de crédit, et aux organismes de rehaussement qui les ont imprudemment garanties, sans oublier les départements des banques d’affaires qui ont titrisé ces créances à tire-larigot ou même les investisseurs qui ont acheté des titres, sans examiner en détail le contenu de leurs emplettes.
Second point, cette crise était annoncée. Dans la mesure où toute la chaîne d’opérations financières était adossée au marché immobilier et s’appuyait sur l’axiome : les prix des habitations monteront éternellement, il était évident que le système se bâtissait sur un leurre (sachant que , comme le dit le dicton, « les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel »). La seule incertitude concernait donc la date. La réponse est arrivée, sèche : été 2007.
Quelles leçons doit-on tirer de ce désastre ? Tout d’abord, dans la mesure où la responsabilité est collective, il est inutile de chercher des boucs émissaires (solution qui détournerait d’une recherche des véritables causes de la crise).
Par contre, il faut revoir le cadre règlementaire, dans le sens d’une plus grande sévérité, en particulier aux Etats-Unis. Il est ainsi aberrant qu’une banque puisse prêter plus que la valeur du bien financé ; il faudrait limiter à 70% ou 80% du prix d’achat de l’habitation. De même, les agences de notation doivent réviser leurs méthodes d’évaluation concernant aussi bien les « monolines » (organismes de rehaussement de crédit) que les entités émettrices de CDO ou les SICAV monétaires dynamiques. Il est totalement anormal que le risque inhérent à ces entités n’ait pas été correctement estimé, donnant implicitement des messages faussement rassurants.
Enfin, il faudra développer les travaux relatifs à la finance « comportementale », qui analyse les décisions des acteurs de la finance, non pas en supposant la rationalité parfaite de ces acteurs, mais à travers leurs comportements réels, c'est-à-dire, en prenant en compte les effets « moutonniers », les asymétries d’information et les mouvements de panique. Même si les crises sont en fait différentes dans leurs manifestations au fil de l’histoire, il y a toujours des enseignements utiles à tirer de la dernière crise…pour atténuer les conséquences de la prochaine.
Bernard MAROIS
Président
Club Finance HEC
POURQUOI LA FRANCE N’ARRIVE- T-ELLE PAS A SE REFORMER ?
Une analyse superficielle laisserait penser que la première année du quinquennat Sarkozy avait permis d’engager des
réformes essentielles pour l’économie française, telles que la modernisation de la fonction publique, l’allongement de l’âge du départ en retraite, la réduction du déficit de la Sécurité Sociale
et du budget de l’Etat, etc…En fait il n’en est rien.
Les prélèvements fiscaux dépassent toujours les 43%.
6 nouveaux impôts vont probablement voir le jour en 2009,
dont une taxation accrue des revenus du capital, qui va dépasser le seuil de 30% (un quasi-record pour un pays industrialisé !). Parallèlement, la diminution du nombre des fonctionnaires se
fait au compte-gouttes, compensée par l’augmentation des agents des collectivités locales.
Les adeptes de l’approche socialiste justifient cet écart de 5 à 10 points par rapport à nos principaux concurrents, en affirmant que la qualité du service public français suffit à l’expliquer.
Certes, cela pouvait être vrai dans les années 70, mais la réalité correspond de moins en moins à ces images d’Epinal. Ainsi, les différents classements universitaires montrent l’affaiblissement
de l’enseignement supérieur français. Le simple bon sens permet de constater l’empilement excessif des structures administratives dans notre pays : communautés de communes, cantons,
départements, régions. Les principaux organismes de tutelle (CNAM, Ministère de l’éducation Nationale, etc.) sont devenues des monstres bureaucratiques qui s’autoalimentent : à une époque où
la réactivité et la flexibilité sont des qualités indispensables, ces grosses structures perdent de leur efficacité et manquent de souplesse pour
s’adapter à un environnement rapidement changeant..
Les conséquences sont malheureusement incontournables : un déficit budgétaire qui n’arrive pas à s’écarter durablement de la barre fatidique des 3%, un endettement public en hausse
interrompue depuis 30 ans. Enfin, le plus grave, une croissance condamnée à rester sous les 2 %. En ce qui concerne 2008, j’avais indiqué il y a déjà 6 mois (dans un précédent éditorial) que
celle-ci ne dépasserait pas 1,6%. Compte-tenu de la persistance de la crise, c’est désormais le chiffre de 1.3% qui apparaît comme le maximum possible. Et 2009 risque d’être encore moins
bon.
Bernard MAROIS
Président
Club Finance HEC
LE NOUVEAU PAYSAGE BANCAIRE EUROPEEN
Il y a traditionnellement deux
modèles bancaires dans le monde : le modèle « rhénan » et le modèle « anglo-saxon ». Le premier préconise une banque « multimétiers » couvrant toute la
gamme des activités : depuis la banque de détail (« retail banking ») jusqu’à la banque d’affaires, en passant par le gestion collective (« assets management ») et les
services bancaires (conservation de titres, par exemple). Le second privilégie la séparation des activités, au nom de la lutte contre les conflits d’intérêt, laissant le soin à l’investisseur
(l’actionnaire) de choisir les activités bancaires dans lesquelles il souhaite investir, selon la théorie néo-classique qui spécifie que l’actionnaire est le mieux placé pour savoir quels
placements il veut effectuer.
En fait, c’est l’histoire qui explique le mieux cette dichotomie, en terme
de modèle bancaire. Le modèle rhénan est né en Allemagne au XIXème siècle. A l’époque, ce pays, en voie d’industrialisation rapide, souhaitait
permettre aux entreprises de se financer facilement, grâce à l’émergence d’un système bancaire puissant et relativement concentré. En plus, les banques allaient participer à la constitution des
fonds propres des entreprises nouvellement créées et siéger dans les conseils d’administration de celles-ci. Par la suite, l’argument sera avancé qu’une diversification des activités des banques
est souhaitable, pour « mutualiser » les risques et lisser les cycles économiques, les bénéfices de la banque de détail compensant d’éventuelles pertes de la banque
d’investissement, et réciproquement.
Le modèle anglo-saxon, dont l’exemple principal était le système bancaire américain issu des réformes de 1933-1934
(Glass-Steagall Act), préconise de séparer les activités bancaires : d’un côté, il y les banques d’affaires (Goldman Sachs, Merrill Lynch, etc.) et de l’autre les banques de détail, qui font
des crédits et reçoivent des dépôts (Chase Manhattan, Citibank, etc.). La législation américaine a même obligé les grandes banques universelles de l’époque à scinder leurs activités : Morgan
Guaranty, pour le « retail », Morgan Stanley, pour la banque d’affaires. En fait, la spécialisation par métiers n’obéissait pas une quelconque théorie économique, mais était le résultat
de la crise de 1929, dont la responsabilité avait été attribuée, probablement d’une façon exagérée, aux comportements des banques américaines. Cependant, dans les années 1990-2000, les
régulateurs américains ont progressivement effacé les barrières règlementaires entre banques de détail et banques d’affaires, en permettant la constitution de « holdings » réunissant
les deux catégories de banques sous un seul chapeau.
De ce fait, le modèle dominant actuel est la banque
« multimétiers » (ou banque « universelle ») qui permet à l’établissement bancaire de diversifier ses revenus et donc de limiter ses risques, tout en maximisant ses
profits. Ce qui n’empêche pas l’existence de « niches », au sein du système bancaire : « boutiques » pratiquant uniquement les fusions-acquisitions, entités dédiées à la
gestion collective ; banque régionale absente des marchés et orientée surtout sur la clientèle de particuliers et de PME ; courtiers spécialisés dans l’arbitrage sur les marchés
financiers, etc.…
On peut donc penser que le nouveau paysage bancaire européen rassemblera des grandes banques multi–métiers, présentes sur
plusieurs marchés domestiques (tel HSBC, BNP, BBVA ou Unicredit) et une quantité d’établissements plus spécialisés, soit géographiquement (banques régionales), soit sectoriellement (assets
management, conseil en M & A), avec une tendance à la consolidation (acquisitions, fusions), au fur et à mesure que l’espace financier européen s’unifie.
Bernard MAROIS
FINANCE ET GOUVERNANCE MONDIALE
Depuis la seconde Guerre Mondiale, le monde a connu 3 phases : la première, jusqu’en 1989, a vu un affrontement entre deux
blocs : le bloc capitaliste d’une part, mené par les Etats–Unis et le bloc « socialiste » (on devrait plutôt écrire »communiste »), avec l’URSS comme chef de file d’autre
part. Ensuite la chûte du Mur de Berlin a vu l’avènement d’une « hyperpuissance », les Etats-Unis, capable de dicter sa loi au reste du monde (libération du Koweit,
croisade « anti-terroriste », élargissement de l’Otan, etc.).
Depuis 2003, nous sommes rentrés dans une troisième phase, un monde multipolaire, où les nations retrouvent leur lustre, à la façon de la
configuration issue des traités de Westphalie de 1648. Quels en sont les symptômes : tout d’abord, l’émergence de la Chine, rentrée à l’OMC, championne de la croissance économique et hôte
des prochains Jeux Olympiques ; ensuite le cavalier seul des Américains en Irak (2003), l’Allemagne et la France s’abstenant de les soutenir ; le renouveau russe mis en scène par
Poutine et favorisé par la hausse des prix du pétrole ; enfin le coût d’arrêt à l’Europe « institutionnalisée » résultant des différents « non » au référendum
(France, Pays-Bas, puis, plus récemment, Irlande) et les velléités de l’Iran à se doter de l’arme atomique.
Quelles sont les conséquences de ces évolutions pour la finance ?
Dans la période de guerre froide, l’objectif des dirigeants occidentaux a été d’éviter le basculement des pays Européens dans l’économie dirigée, à la soviétique, grâce à l’afflux des capitaux
anglo-saxons, à la limitation des expériences socialistes (tolérant « l’économie mixte » à la française ou le « travaillisme » britannique) et à une bonne coordination des
politiques économiques nationales, assurée par le G-7 (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie et Canada) et marquée par les accords du Plaza et ensuite du
Louvre.
La deuxième période, après 1989, a vu une offensive du capitalisme américain qui, à travers le développement des marchés financiers, a essayé de répandre le libéralisme
économique (privatisations généralisées y compris dans les pays émergents). En retour le FMI et la Banque Mondiale ont participé largement au sauvetage des économies en difficulté (crise
asiatique de 1997, et crises russe et brésilienne de 1998).
Aujourd’hui, la gouvernance économique et financière, au niveau mondial, rentre dans une phase délicate. Chaque pays tente de défendre ses propres intérêts : ainsi, les
Etats-Unis ne soutiennent pas le dollar et préfèrent baisser leur taux d’intérêt ; la Chine refuse de réévaluer le yuan ; les négociations de Doha (OMC) piétinent ; l’Europe reste
divisée, écartelée entre les désirs laxistes des Etats et la rigueur de la B.C.E.
C’est pourquoi les voix de ceux qui réclament plus de règlementations pour contenir de futures crises financières risquent de prêcher dans le désert. En l’absence d’une gouvernance mondiale
acceptée par tous, chaque Etat va tenter de s’en sortir par ses propres moyens, ce qui n’augure pas « des lendemains qui chantent ».
Bernard MAROIS
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